Pour une loi de conscience

Je rends ici public le courrier que j’ai adressé à Madame la Ministre de la Culture.

Il s’y fait entendre la voix d’une conscience attachée au verbe et à la dignité des lettres.

Une œuvre, fût-elle tombée dans le domaine public, ne cesse point d’appartenir à ce qu’il y a de plus sacré dans l’âme française : son patrimoine moral.

Si le droit s’y tait, que la conscience, du moins, s’y dresse.

Madame la Ministre, bonjour.

Je vous écris en tant qu’écrivaine et éditrice profondément attachée au patrimoine littéraire français, afin d’attirer votre attention sur une dérive inquiétante : la dénaturation des œuvres tombées dans le domaine public.

Chaque année, des maisons d’édition et des sociétés de production s’approprient librement nos classiques, non dans un but de les transmettre, mais afin de les travestir. Sous prétexte d’audace, on détourne des chefs-d’œuvre de leur sens, on les « réinvente » jusqu’à l’absurde, parfois sous des titres provocateurs tels que "Les Classiques interdits", publiés par les Éditions Ada — maison d’édition canadienne dont le respect d’un tel héritage, et qui ne lui appartient pas, ne semble guère être le souci.

Ce ne sont plus des hommages, mais des profanations.

Le domaine public libère les droits, certes ; il ne saurait pour autant absoudre l’irrespect.

Il représente la part la plus sacrée de notre culture : celle qui appartient à tous parce qu’elle a déjà conquis l’éternité.

La liberté qu’il confère devrait s’accompagner d’un devoir : celui de ne jamais dénaturer.

Je plaide pour qu’une réflexion soit engagée, sous l’égide du ministère, afin de poser un cadre moral et juridique protégeant la dignité des œuvres patrimoniales.

Il ne s’agit point, ici, de brider la création, mais de rappeler que la réédition, la traduction, ou l’adaptation d’un texte classique doivent se faire dans le respect de son esprit, de sa langue et de sa vérité.

La France a bâti sa grandeur sur la littérature ; elle se doit de défendre ce qu’elle a de plus précieux : la pureté de ses mots.

Je vous remercie, Madame la Ministre, de l’attention que vous voudrez bien accorder à cette démarche, et me tiens à disposition pour tout échange ou audition sur ce sujet.

Veuillez recevoir, Madame la Ministre, l’expression de ma très haute considération.

Pour conclure, et il faut le rappeler, la littérature est héritage de l’âme avant d’être domaine du droit.

Le droit peut délier les œuvres ; il ne peut les absoudre.

Il faut, indispensablement, qu’une loi se fasse jour ! Elle n’aura pas pour objet d’interdire — non ; ce nonobstant, elle devra rappeler à la conscience ce que l’esprit doit à son propre legs.

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