« À l’ombre des jeunes filles en fleurs »
« À l’ombre des jeunes filles en fleurs », car c'en est l'œuvre du jour, se trouve tout entière baignée d’une lumière douce et profonde, telle qu’en répand une aurore naissante sur le monde encore contenu dans les langes de la nuit.
Vers ce séjour incertain, où se confondent l’attrait du désir, l’aiguillon de la curiosité et l’ingénuité des premières maladresses qu’enfante l’émoi, s’avance notre narrateur, portant en soi plus de trouble que d’assurance.
Il contemple, il attend, se retient d’aller plus avant.
Chacune de ces figures juvéniles devient pour lui tableau animé ; chaque sourire, sitôt éclos, se fait miracle qu’il voudrait retenir, et qui, d’un souffle, s’efface.
Elles passent, s’éloignent, puis derechef reviennent ; et, dans ce jeu continuel d’apparitions et de retraits, se forme au-dedans de lui un monde qu’à demi seulement saura-t-il jamais posséder.
Ce monde, oui, répétons-le, s’ouvre également en d’autres visages, en d’autres lieux : le salon où Bergotte parle avec gravité ; l’atelier d’Elstir ; le rivage de Balbec, que la mer, tour à tour, avance ou retire, comme pour mieux signifier à l’homme la mobilité de toute chose.
Ce second volume n’est nullement récit de conquête ; il est, nonobstant, leçon d’apparition.
Proust ne peint pas la possession, or il en peint l’approche ; et cette approche est royaume, où la beauté, toujours, se dérobe, ne se livre qu’en éclats fugitifs, et qu’à la vouloir étreindre de trop près, l’on n’en retient que l’ombre.
Ici, la mémoire n’est point retour ; elle est commencement.
Elle garde non ce qui fut, néanmoins l’instant premier où s’éveilla ce frisson qui fit comprendre que la jeunesse n’est pas éternelle chose, et que déjà, dans l’or éblouissant du matin, s’insinue le pressentiment du soir.
« À l’ombre des jeunes filles en fleurs », ou comment l’aube, en se levant, porte déjà l’ombre de son déclin.