« Le Diable au corps »

Dans « Le Diable au corps », s’élève, sous la main d’un adolescent à peine formé, un chant de précoce témérité : chant si violent dans sa naissance qu’il en heurte déjà les colonnes de l’interdit, et se fait drame. En arrière, la guerre — lasse, distante — n’est là que pour laisser la place au tumulte des âmes.

Un jeune cœur — encore ivre des fièvres de l’ignorance, et tout débordant de l’ardeur mal contenue de sa sève première — s’y prend à la belle Marthe : épouse pourtant liée, et dont l’absent époux, parti au front, n’est plus, pour un temps, que promesse sans vigueur et souvenir qui se délite. Alors les amants s’élancent, éperdument, dans l’incendie d’un amour que n’arrête ni loi, ni serment, ni pudeur. L’innocence s’y dissout, et le désir — nu, souverain, despotique — s’y érige en empire.

Radiguet, de son écriture aiguë, impitoyable et fine comme une lame, cisèle une œuvre où l’interdit s’exhale tel un parfum d'opression, délétère, trop capiteux pour ne point enivrer. Tout y est fulgurance, désobéissance, vertige ; attendu que ce feu, si vif qu’il embrase tout, ne laisse après lui qu’amertume, ruine et cendre.

Et ce roman — né pourtant de la jeunesse, qui devrait n’avoir encore que naïve floraison — est de ceux qui vous saisissent et vous étouffent à la fois : par l’audace, par la mélancolie, et par cette funeste révélation que l’amour, lorsqu’il prétend régner sur la morale, sur le temps, sur l’ordre même des choses, ne s’élève que pour s’y briser, et choir dans sa propre tragédie.

Une passion, lorsqu’elle s’affranchit du monde, peut-elle seulement prétendre à l’éternité ?

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« À l’ombre des jeunes filles en fleurs »