Le domaine public n’absout point l’impiété
L’humanité est conscience adirée.
Si elle déjette, dans l’humeur de ses droits, l’inflexion de ses devoirs, elle se fait juge des autres, par le propre de ce qu’elle est misère elle-même.
C’est là perdre la justesse morale.
Et puisqu’elle en garde à merveille le maintien, l’élégante mine du farouche zélateur, et qu’elle exhorte des paroles de raison, sa bouffissure n’en est plus qu’altière.
Voyez-la dans son aise irréfragable, cette humanité, qui est la faiblesse d’un cœur qui l’en déplore.
À l’aveugle je dis : ce n’est là que faiblesse de leurre.
L’illusion de notre siècle est plénière ; il suffit de cela pour ne pas vouloir lui demeurer un autre plus longtemps.
C’est se donner l’émerveillement de voir une seconde fois.
J'en fais une condamnation en ce que de cette humanité adirée naquit jadis un siècle de langage.
Langage qui fut le tumulte des foules.
Langage duquel naquirent — et qu’illustrèrent — les esprits brillants, pour la pérennité de nos lettres : la littérature classique.
Sublime et charmante âme, toi qui fus toute la vigueur d’un peuple !
Voilà à qui tu fus donnée et à qui revient de reconnaître ta légitimité !
À cette France barbare, voici ton enfant délaissé, ta Fantine — l’on t’a ravie de ta hauteur — et désormais l’on te salit dans la fange des foules, l’on te traîne au marché comme une pitance d’auberge que l'on sert sans honneur aux appétits du siècle.
C’est maintenant l’amusement du peuple.
Ha ! chère France, tu te glorifies d’un crime dont tu ne mesures point la honte.
Ce que tu nommes hardiesse n’est que l’orgueil de l’ignorance.
Tu peins d’or les plaies de ta grandeur, et, croyant faire œuvre vive, tu n’y verses que de la vileté.
Et tu appelles cela modernité.
Cependant, ce n’est alors plus faire mémoire : c’est abolir.
Ce n’est plus révérer : c’est déchoir.
Ainsi, ce que tu nommes hommage n’est qu’avilissement.
La gravité se fait ici entendre : elle se meurt, notre littérature, au dédain d’un siècle frivole et oisif.
Et c’est perdre là un monde ; car si la littérature vient à choir, la pensée s’y obscurcit, la langue s’y corrompt, et l’homme, par conséquent, dépouillé de sa dignité première, s’y trouvera ployé sous le joug de sa propre ignorance.
C’est déjà l’aurore de la nuit morale.
Fût-ce que le domaine public affranchît les droits, il n’absout point l’impiété.
Il ne dispense point d’être reçu avec congruité.
Ce domaine est celui de la conscience — du verbe, de l’origine et des hautes âmes.
Ce nonobstant, l’on ne souille point une conscience.
Aussi faut-il qu’une loi — une loi de conscience — se fasse jour.
Elle n’astreint point la création ; toutefois, qu’elle serve à relever la droiture perdue.
Que l’on réédite, soit ; or qu’on n’y altère point le verbe ; attendu que toute œuvre livrée au temps demeure chose sacrée, et que nul ne s’y doive hasarder sans respect.
Ce n’est point liberté que de souiller, mais oubli de ce qu’est l’honneur du langage.
Et si l’on souffre qu’on en dispose à sa guise, alors l’esprit, s’y voyant livré, s’y corrompra tout entier ; à cause que ce qui n’est plus gardé par la loi s’en ira choir, inexorablement, du cœur des hommes.
Ce texte fut porté à plusieurs rédactions — Le Figaro, Marianne, France Culture — afin que la conscience qu’il invoque trouve audience.