Pour la protection du patrimoine littéraire français
En l’heure présente, je veux faire cause de ce que je crois devoir être absolument défendu : la littérature classique.
Il s’en trouve, à plus que de raison, des compositions hardies ; et si l’on suppose lui servir en la recrépissant, c’est là se tromper.
Attendu que c’est une âme qui, d’existence, va pour la tombe.
C’est là une âme chenue, pour qui l’on s’éprend dans le fiel de notre hardiesse, lorsqu’elle est donnée à la rendre plus claire.
Or c’est la réduire à l’indigence.
Que l’on ne s’y méprenne plus guère : altérer, ce n’est point réformer, c’est méconnaître ; vouloir s’arroger ce qui ne fut engendré par nous-mêmes, vouloir mieux dire que l’écrivain, c’est l’outrager.
Jusque dans son sépulcre.
Afin d’ouïr ma résignation, dans l’ardeur de me lever, droite, en regard des chants hostiles, j’ai composé un manifeste : Le domaine public n’absout point l’impiété.
Je l’ai adressé à maintes instances des Lettres et de la Culture :
— au Sénat de la République française,
— à Madame la Ministre de la Culture,
— à l’Académie française,
— à la Société des Gens de Lettres,
— à la Bibliothèque nationale de France,
— à Monsieur Sylvain Ledda (Université de Rouen),
— à Madame Isabelle Safa (Université de Caen / Lycée Henri-IV),
— ainsi qu’à la presse : Le Figaro, Marianne et France Culture.
J’y fais se ressouvenir que, si le domaine public affranchit les droits, il ne délie aucunement du respect ; et qu’une œuvre, lors même qu’elle s’est affranchie du temps, demeure chose sacrée — vouée à la révérence des hommes.
Si ces droits ne sont plus au regard de l’œuvre, ce regard-là, inaltérablement, qui fut celui d’un homme ou d’une femme, n’est en aucune sorte à choir dans l’ignorance.
S’approuver pour autrui, voilà une imposture !
Le dessein en est aisé, et grave : qu’une loi de conscience se fasse jour.
Diligemment.
Elle ne se veut, pour mieux le dire, nullement contraindre.
Non.
Elle se veut rappeler à chacun la décence qu’il doit à la mémoire des siècles.
À présent, cet appel se fait pétition.
Il s’en va chercher d’autres voix, et recouvrer — j’en porte l’espérance — la parole de ceux qui savent encore révérer le verbe.
Qu’il soit entendu.
Et qu’il témoigne du sursaut par lequel une nation se souvient encore d’elle ;
de sa mesure, de sa lumière, et de sa grandeur.
Indivise.
De cette conviction procèdent les principes suivants, qui forment l’assise morale de la présente pétition.
I. Principes fondamentaux
Qu’aucune réécriture, adaptation ou altération d’un texte classique — soit de sa langue, de son temps ou de son esprit — ne soit entreprise ni publiée, sous quelque nom ou prétexte que ce soit ;
Qu’il soit reconnu pour atteinte morale au patrimoine tout acte qui prétend transformer, simplifier ou « actualiser » la langue d’un écrivain ou d’une écrivaine disparue ;
Que le domaine public, s’il délivre bien les droits, ne délivre cependant point du respect : attendu que nulle liberté n’autorise l’oubli, ni ne doit rompre ce lien sacré qui attache l’œuvre à celui qui en fut le créateur ;
Dès lors, l’écrivain, fût-il dans la tombe, ne doit manquer au respect qui lui est dû : une œuvre ne devient en aucun cas chose abandonnée parce que son créateur n’est plus — elle demeure, de manière inaltérable, son vestige, sa parole, sa mémoire.
Que nul ne s’arroge la propriété morale d’une œuvre, ni ne la repense ou l’altère par une escobarderie de liberté ;
Que les universitaires et les institutions assument leur charge de dépositaires du patrimoine littéraire, préservant la langue, la forme et l’esprit de chaque texte ;
Que toute réédition d’un classique prenne pour fondement un texte dont l’origine soit certaine : le manuscrit de l’écrivain, une édition authentique, ou une version attestée comme ayant reçu son dernier assentiment auprès d’une institution publique.
II. Mesures éthiques et culturelles
Que soit institué un label patrimonial — nommé Édition intègre — garantissant que l’œuvre est publiée dans son état véritable ;
Que l’accès aux œuvres du domaine public demeure libre ; mais que seul le texte provenant d’une source certifiée — Bibliothèque nationale de France, archives universitaires ou collections reconnues — reçoive le sceau Édition intègre et soit tenu pour la seule reproduction légitime de l’original ;
Que toute demande de réédition passe par le portail officiel du Ministère de la Culture, ou par une institution agréée habilitée à délivrer le texte certifié et le label Édition intègre ;
Avant toute obtention, le demandeur — éditeur, institution ou particulier — devra valider électroniquement un engagement moral attestant qu’il reproduira fidèlement le texte, sans en altérer la langue ni l’esprit ;
Cet engagement sera enregistré au registre public des rééditions agréées : registre national, tenu par l’Institut du Patrimoine littéraire, recensant les rééditions conformes aux textes certifiés.
Le contrevenant — s’il venait à ne pas respecter ses engagements — serait radié du registre et privé du label Édition intègre, pour manquement à la fidélité littéraire.
Qu’une circulaire de vigilance émane du Ministère de la Culture afin de prévenir les réécritures abusives et les adaptations défigurantes ;
Enfin, qu’une sanction morale, sinon juridique, soit reconnue pour tout éditeur ou producteur qui dénature une œuvre classique, puisque ce n’est point liberté d’esprit, or offense à la mémoire.
III. De la création d’un Institut national du Patrimoine littéraire
Il est temps que l’État français reconnaisse l’importance de son patrimoine.
Aussi serait-il espéré la fondation d’un Institut national du Patrimoine littéraire (INPL), placé sous l’autorité du Ministère de la Culture et institué en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France, le Centre national du Livre, les Archives nationales et toute instance reconnue pour sa mission patrimoniale.
Cet Institut aurait charge de recueillir, d’authentifier et de certifier les textes du domaine public, afin que nul ne puisse en user sans respect.
Il y serait institué un dépôt des versions véritables : manuscrits, éditions premières, ou exemplaires dont la trace se trouve attestée par les instances publiques dépositaires du patrimoine écrit.
De ces sources seules, il serait permis de tirer copie ou réédition.
L’accès en demeurerait libre à tout citoyen, à tout éditeur, à tout chercheur ; or la reproduction, pour être dite légitime, exigerait d’être faite selon la foi du texte, et attestée par le sceau de l’Institut, portant la mention « Édition intègre ».
Toute demande de reproduction ou de réédition pourrait se faire par le portail officiel de l’Institut — ou auprès de toute institution publique détentrice des manuscrits, selon les voies établies par la loi du patrimoine écrit.
L’éditeur, le particulier ou l’institution y choisirait l’œuvre souhaitée parmi les textes certifiés : manuscrit, édition première, ou version reconnue d’origine publique.
Avant d’obtenir la copie, il lui serait demandé d’accepter une déclaration d’honneur.
Cette attestation, validée par consentement électronique, tiendrait lieu de signature officielle.
Elle serait enregistrée dans le registre public des rééditions agréées, conservé par l’Institut national du Patrimoine littéraire.
Le contrevenant à ces principes verrait le sceau de l’Institut, portant la mention « Édition intègre », lui être retiré, son nom radié du registre des rééditions agréées, et son ouvrage retiré de toute circulation publique.
Il serait également privé du droit de rééditer et, en cas de fraude avérée — falsification, usage indu du sceau ou diffusion mensongère —, poursuivi selon les dispositions des Codes du patrimoine et de la propriété intellectuelle.
L’Institut national du Patrimoine littéraire, sous l’autorité du Ministère de la Culture, pourrait saisir sans délai le juge compétent afin d’obtenir la saisie, la destruction ou le retrait des éditions falsifiées.
Enfin, l’Institut national du Patrimoine littéraire serait hébergé au sein du portail national de la Culture (culture.gouv.fr), offrant à tous un accès libre aux textes certifiés, aux notices de provenance et aux manuscrits consultables en ligne.
Il est désormais temps que la France protège ses mots comme elle protège ses monuments.
Ce serait rappeler que la littérature, elle aussi, est patrimoine vivant.
IV. Principes symboliques
Que soit reconnue la valeur sacrée du patrimoine littéraire : une œuvre achevée appartient à l’Histoire, et assurément point à la mode ;
Que soit affirmé le principe de fidélité comme fondement de toute transmission culturelle ;
Voilà le devoir qui nous échoit des siècles : les morts n’ont plus de voix, et c’est aux vivants — à nous, comme à ceux qui viendront — de ne point leur en ôter la dernière.